La Suva a publié une nouvelle fiche d'information sur l'assainissement des matériaux contenant des HAP. Cette fiche décrit les mesures à prendre pour protéger la santé des travailleurs et travailleuses. Mais elle laisse aussi quelques questions importantes en suspens. De quoi s'agit-il ?
Essai inter-laboratoire "couvert": Un taux d'erreur élevé dans des laboratoires amiante
Simon Schneebeli; avril 29, 2020
En Suisse, il n'y a pas d'exigences obligatoires à remplir pour qu'un laboratoire soit autorisé à effectuer des analyses amiante. La liste "officielle" des laboratoires effectuant des analyses d'échantillons de matières est basée sur une auto-déclaration et est publiée sur le site web du Forum Amiante Suisse (FACH). Selon cette liste, 30 des 34 laboratoires disposent d'une accréditation de qualité, ce qui veut dire qu'ils participent régulièrement à des "tests de compétence inter-laboratoires".
Que signifie un "test inter-laboratoire"? Dans le cadre d'un tel test, des mélanges de matériaux spécialement préparés sont envoyés aux laboratoires participants. Ces derniers analysent les échantillons et les résultats sont ensuite comparés. Cela permet d'évaluer la qualité interne d'un laboratoire. Toutefois: Les laboratoires participants sont toujours conscients qu'il s'agit d'un test. Par conséquent, les échantillons respectifs peuvent être analysés plus soigneusement que les échantillons de matériaux habituels. Ces tests inter-laboratoires ne montrent donc pas forcément la qualité réelle du laboratoire lors d'un fonctionnement courant.
Afin d'évaluer la qualité réelle du laboratoire, les échantillons devraient provenir d'une source "normale" (client). Ce n'est que si le laboratoire ne sait pas qu'il s'agit d'un test inter-laboratoire que les échantillons sont analysés de la même manière que tous les autres échantillons. En outre, il convient d'utiliser un "vrai" matériau de construction, et non les mélanges préparés pour les tests de compétence.
Le test inter-laboratoire du FACH
Voici exactement ce qu'a fait le FACH durant l'été 2019: il a collecté une série d'échantillons de matériaux sur de véritables chantiers et les a envoyés sous un nom d'emprunt aux 34 laboratoires de sa liste. Cependant, les matériaux ont été analysés plusieurs fois auparavant en utilisant différentes méthodes. Cela s'est fait en coopération avec les laboratoires de la Suva et des laboratoires de référence reconnus IFA et ÖSBS situés en Allemagne et en Autriche. Afin de ne pas éveiller de soupçons, les échantillons ont été envoyés en deux fois par différents clients fictifs.
Le but de ce test était de déterminer le statu quo/ou l’état actuel ? du marché de l'analyse de l'amiante. Au cours de l'essai, les laboratoires ont reçu pour instruction de signaler la présence ou l’absence d’amiante dans les échantillons . Déterminer la teneur en amiante ou le type d'amiante ne faisait pas partie de la mission. Les résultats ont été communiqués aux laboratoires, et certains d'entre eux ont rendu leurs résultats publics. Les principales conclusions sont les suivantes.
Le taux d'erreur moyen
Le taux d'erreur moyen était d'environ 10%. Ainsi, en moyenne, un échantillon sur dix a été analysé de manière incorrecte (faux positifs ou faux négatifs). Cependant, l'étendue des erreurs est importante:
- 0 erreur: 14 des 34 laboratoires (41,1%) semblent avoir mis en place des protocoles d'analyse efficaces et obtenu des résultats corrects pour tous les échantillons.
- 1 erreur: 7 autres laboratoires ont commis 1 erreur.
- 2 à 3 erreurs ont été commises dans 6, ou resp. 5 laboratoires. Cela correspond à un taux d'erreur de 15, ou resp. 23%.
- 4 erreurs: Deux laboratoires ont obtenu 4 résultats erronés parmi les 13 échantillons de l'essai circulaire (soit un taux d'erreur de 30 %).
Le taux d'erreur par matériau
Si l'on considère uniquement les échantillons contenant de l'amiante, la présence d'amiante n'a pas été reconnue dans 13% de ces échantillons (faux négatifs). Et inversement, l'amiante a été identifiée dans 4% des matériaux sans amiante (faux positifs).
Le tableau suivant montre le nombre d'erreurs commises par matériau (la description des échantillons n'est pas toujours très spécifique).
Matériel | Nombre d'erreurs | Erreurs en % |
Échantillons contenant de l'amiante (faux négatifs) | ||
Mastic de fenêtre | 1 | 2.9 % |
Amiante-ciment | 0 | 0 % |
Dallette de sol | 1 | 2.9 % |
Plaque de faux-plafond | 8 | 23.5 % |
Calorifugeage | 2 | 5.8 % |
Crépi plâtré | 4 | 11.7 % |
Crépi mur | 3 | 8.8 % |
Sol bois-ciment (Magnesiastrich) | 6 | 17.6 % |
Revêtement de sol en PVC | 12 | 35.3 % |
Échantillons sans amiante (faux positifs) | ||
Revêtement de sol en PVC | 0 | 0 % |
Crépi intérieur | 2 | 5.8% |
Crépi intérieur | 0 | 0 % |
Crépi intérieur plafond | 2 | 5.8 % |
Moyenne sur les crépis sans amiante | 3.9 % |
Les méthodes d'analyses
Il n'y a aucun lien entre le taux d'erreur et les instruments d'analyse utilisés (MOLP, REM ou TEM). La question crucial est probablement de savoir si et comment les échantillons ont été préparés avant l'analyse. Cependant, le rapport du FACH ne fournit aucune information à ce sujet. Les résultats du FACH n'indiquent pas quelle norme a été appliquée.
D'autre part, il semble qu'en moyenne les laboratoires suisses fassent moins d'erreurs. Sur 34 laboratoires de la liste du FACH, 12 sont basés à l'étranger et 22 en Suisse. Parmi les laboratoires qui n'ont pas commis d'erreur, 13 sont situés en Suisse et un à l'étranger.
Interprétation des résultats
Comment pouvons-nous interpréter ces résultats? Y a-t-il des raisons de craindre que le taux d'erreur élevé de certains laboratoires ait pu mettre la vie de personnes en danger? A l’inverse: Combien d'opérations de désamiantage coûteuses ont été causées par des résultats faussement positifs?
La réalité se situe quelque part entre les deux: En moyenne, l'exposition à l'amiante est aujourd'hui déjà assez faible. Si les analyses étaient meilleures, elle serait probablement un peu plus faible. Cependant, il n'y a certainement pas des "dizaines" de victimes supplémentaires à cause des erreurs d'analyse.
Il convient de mentionner en particulier le taux d'erreur élevé pour le panneau acoustique dans lequel huit des 34 laboratoires n'ont pas été en mesure d'identifier la présence d'amiante (soit au total 23,5 % de l'ensemble des laboratoires). Ces panneaux contiennent généralement de l'amiante amosite qui est connu pour être plus dangereux que, par exemple, la chrysotile. Toutefois, dans des conditions normales, plusieurs échantillons de ces panneaux sont prélevés, de sorte que le nombre de panneaux qui sont enlevés en supposant à tort qu'ils sont exempts d'amiante est certainement inférieur.
Quel est le seuil à viser?
Il est indiscutable que ce taux d'erreur est trop élevé. Il est également incontestable qu'un taux d'erreur nul est souhaitable mais non réalisable dans la pratique. Cependant, que peut-on attendre d'un laboratoire?
Dans le cadre de l'article que nous avons publié en 2017 LIEN, nous avons demandé à trois laboratoires suisses d'estimer le taux d'erreur des laboratoires sur le marché. Les laboratoires interrogés ont alors estimé que le taux d'erreur devait être entre 0,1 et 1% (soit 1 erreur sur 100 à 1000 échantillons).
Cependant, un taux de 0,1 à 1% est-il réaliste? En raison notamment de la difficulté à réaliser certaines analyses (des matériaux hétérogènes, de l’amiante en traces, une évaluation imprécise de l'amiante géogène, une quantité insuffisante de matière de l'échantillon), cette estimation semble difficile à atteindre.
Les conséquences…
Le test du FACH de 2019 a été la toute première évaluation de la situation. Il est resté sans conséquence pour les laboratoires. Sur la base de cette expérience, le FACH prévoit d'autres tests inter-laboratoires, sous nom d'emprunt, à l'avenir. À partir de 2020/21, seuls les laboratoires ayant au maximum une erreur pour 20 échantillons seront acceptés. Les laboratoires présentant un taux d'erreur plus élevé seront retirés de la liste du FACH.
L'expérience devrait avoir d'autres conséquences:
- Amélioration de la gestion de la qualité dans les laboratoires: Sur la base des résultats de 2019, les laboratoires qui ont participé aux tests avec de mauvais résultats ont déjà pris des mesures pour améliorer leur qualité. Aujourd'hui, on peut donc supposer que la qualité s'est déjà améliorée.
- Essais inter-laboratoires: Les essais inter-laboratoires actuels ne semblent pas être un indicateur suffisant de la qualité réelle des laboratoires. L'approche des tests masqués adoptée en Suisse est recommandée au niveau international.
- Normes et contrôles de qualité: Les laboratoires travaillent généralement conformément à des normes. Le mauvais résultat de l'essai inter-laboratoire peut également indiquer que les exigences normatives pour les laboratoires et/ou les critères de certification de la qualité sont insuffisants. Cela vaut en particulier pour le défi que représente le nombre croissant d'échantillons "difficiles" contenant de très faibles concentrations d'amiante, comme les crépis.
- Stratégie d'échantillonnage: Pour les personnes qui effectuent un diagnostic amiante, il est important de prendre note des résultats de ce test inter-laboratoire car le nombre d'échantillons à prélever pour arriver à une certaine fiabilité du diagnostic dépend également de la fiabilité des analyses. Ce facteur doit également être pris en compte dans les normes sur les diagnostics qui fournissent en général des indications sur le nombre d'échantillons à prélever.
Observations finales
Dans les formations sur le diagnostic des polluants du bâtiment que nous offrons, nous abordons également le sujet de l'assurance qualité. Nous demandons à nos participants de nous donner leur avis sur la fréquence des erreurs commises dans les diagnostics (échantillons échangés, mal étiquetés ou contaminés, des résultats de laboratoire incorrectement transférés dans le rapport, ...). Le débat montre généralement que le risque d'erreurs de diagnostic est probablement tout aussi élevé, sinon plus, que celui des laboratoires.
Il est inutile de pointer du doigt les laboratoires et de prétendre qu'ils sont de qualité insuffisante. Chaque membre ou organisation de l'ensemble de la chaîne liée à la protection de la santé devrait prendre un moment pour se demander: la qualité de mon propre travail est-elle suffisante?
Lenzburg, 29 avril 2020, Simon Schneebeli, Corin Gemperle