La Suva a publié une nouvelle fiche d'information sur l'assainissement des matériaux contenant des HAP. Cette fiche décrit les mesures à prendre pour protéger la santé des travailleurs et travailleuses. Mais elle laisse aussi quelques questions importantes en suspens. De quoi s'agit-il ?
Assainissement des matériaux contenant des HAP : nouvelle fiche de la Suva
Simon Schneebeli; décembre 17, 2023
Outre l'amiante, il existe d’autres substances nocives dans les matériaux de construction. Il s'agit notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques ou HAP en abrégé . Des études et des mesures récentes indiquent que ce groupe de substances est plus dangereux qu'on ne l'a longtemps cru et que des mesures plus strictes doivent être prises lors des travaux d'assainissement. Ainsi, la Suva a elle-même réalisé une série de mesures dont les résultats ont été présentés l'année dernière lors de la PolluConf. Le constat concernant les HAP est le suivant : les valeurs VME (Valeurs Moyennes Limites d’Exposition) sont rapidement dépassées et à des niveaux plus élevés que ce que l'on pensait jusqu'à présent.
En conclusion, il convient de prendre des mesures plus strictes pour la protection des travailleurs et travailleuses. Mais lesquelles ?
Que sont les HAP ?
Les hydrocarbures aromatiques polycycliques sont un groupe de composés chimiques formés lors de processus de combustion et de pyrolyse. Un produit typique du processus de distillation (pyrolyse) de matière organique était le goudron. C'était également un sous-produit très recherché issu de la gazéification et de la condensation du charbon. Ces goudrons généralement très chargés en HAP ont été particulièrement utilisés dans la construction de routes, mais également comme colle, pour les parquets par exemple, dans les peintures d’étanchéités, mastics ou autres produits de protection du bois.
Les HAP sont également présents dans le pétrole, mais en concentrations beaucoup plus faibles. C'est pourquoi le bitume - substitut du goudron fabriqué à partir du pétrole - ne contient généralement pas de concentrations problématiques de HAP.
Plusieurs des composés appartenant au groupe des HAP sont des cancérigènes avérés. Le benzo(a)pyrène, abrégé en B(a)P ou BaP, étant le plus cancérigène de tous les composés HAP. On le trouve notamment dans la fumée de cigarette ; il est considéré comme la principale cause du cancer du poumon.
Pour l'exposition professionnelle, cette substance est considérée comme la "substance phare". Cela signifie qu’elle est à elle seule plus significative en termes de risques pour la santé que la quantité totale de HAP.
Dans les espaces intérieurs, ce sont en revanche le naphtalène et les HAP de type naphtalène qui sont le plus pertinents. Contrairement au BaP, ces derniers sont volatils et se retrouvent donc dans l'air ambiant. Dans les pièces où se trouve une colle à parquet contenant du goudron, ils sont coresponsables pour l’odeur typique des HAP et peuvent également se fixer comme contamination secondaire dans le béton, les briques, etc.
En matière d’élimination, il existe une valeur limite pour l'ensemble des HAP (ou, pour être plus précis, la somme des 16 HAP de l'EPA), mais aussi une valeur limite spécifique pour le BaP : pour déterminer la filière d'élimination du béton contenant des résidus de goudron, par exemple, il faut vérifier que les deux valeurs limites soient respectées.
Que dit la nouvelle fiche d'information ?
Jusqu'à présent, il n'existait pas en Suisse de directive explicite sur la manière dont les matériaux contenant des HAP devaient être assainis. La Suva comble cette lacune avec la fiche d'information 33106.
Pour l’essentiel, les directives peuvent être résumées comme suit : à part quelques spécificités, les assainissements de matériaux contenant des HAP doivent être réalisés comme les assainissements amiante selon la directive CFST 6503 chap. 7.
Plus spécifiquement :
- Zone de travail :
- Travaux de grande envergure (pièces entières) : à réaliser sous confinement avec une dépression. Un sas est nécessaire, mais la Suva ne spécifie pas le nombre de cabines. Il doit cependant y avoir un endroit pour se laver. L'air évacué doit être filtré, mais sans filtre à charbon actif.
- Travaux de petite surface (par ex. niches de radiateurs) : séparation simple de la zone de travail.
- Pour les objets à démolir sans fenêtre/porte : aucune zone n'est nécessaire si aucune personne non protégée ne se trouve dans les pièces voisines.
- Équipement de protection individuel :
- Protection respiratoire : appareils respiratoires à air comprimé ou appareils filtrants à ventilation assistée, au moins TH3P (cagoule à ventilation/air comprimé).
- Gants en caoutchouc nitrile ou butyle, type A (ce sont des gants robustes, étanches à l'air et à l'eau).
- Les combinaisons de protection doivent être recouvertes de ruban adhésif au niveau du masque, des mains et des pieds afin d'éviter tout contact avec la peau.
- Procédure :
- Choisir des procédés générant peu de poussière, pour le ponçage / fraisage avec aspiration à la source, aspirateur avec filtre H.
- Les procédés générateurs de chaleur (sèche-cheveux à air chaud ou flammes nues) ne sont pas autorisés.
A partir de quelle concentration de HAP ces mesures sont-elles nécessaires ?
La Suva laisse une question importante ouverte : à partir de quand un matériau de construction est-il considéré comme "significativement pollué" ?
Lorsque les concentrations sont de l'ordre du pourcentage, c'est-à-dire de 10'000 mg/kg ou plus, il faut clairement partir du principe qu'il s'agit d'une pollution qui justifie les mesures ci-dessus.
Des résultats de laboratoire de l'ordre de quelques dizaines ou de quelques centaines de mg/kg de HAP sont toutefois tout à fait possibles. L'exposition des travailleurs et travailleuses dépendant de cette concentration, il est tout à fait justifié de prendre des mesures moindres en cas de faibles concentrations.
La Suva ne précise rien à ce sujet. Un coup d'œil au-delà de la frontière le montre : en Allemagne, où il existe depuis longtemps une directive sur l'assainissement des HAP avec la directive TRGS 551, les matériaux sont considérés comme problématiques à partir d'une teneur en BaP de 50 mg/kg. En dessous de ce seuil, aucune mesure spécifique ne doit être prise.
En Suisse, seul le canton de Genève dispose de directives explicites. Les valeurs se situent dans un ordre de grandeur similaire à celui de l'Allemagne :
- Moins de 10 mg/kg de BaP et moins de 250 mg/kg de HAP total : pas de mesures spécifiques.
- Entre 10 et 100 mg/kg de BaP et entre 250 et 2'500 mg/kg de HAP totaux : pas de mise en dépression de la zone si l'on choisit des procédés à faible émission de poussière.
- Plus de 100 mg/kg de BaP et plus de 2500 mg/kg de HAP total : protection totale, y compris filtrage de l'air évacué avec un filtre à charbon actif à partir de 1000 mg/kg de naphtalène.
En l'absence de directives plus explicites de la Suva, il est en principe correct de se baser sur ces références-ci.
Qu'en est-il de la protection de l'environnement ?
Outre le fait que les méthodes d'assainissement doivent minimiser l’émission de poussières, la Suva ne dit rien non plus sur la protection de l'environnement, cela n’étant pas de son ressort, mais de celui des autorités cantonales ou communales.
En Suisse, à l'exception des directives du canton de Genève mentionnées ci-dessus, il n'existe aucune autorité qui fournisse des directives explicites à ce sujet. Bien que certaines discussions soient également en cours en Suisse alémanique, la directive genevoise peut – là aussi – servir de référence, même en dehors du Canton de Genève.
Et les mesures de l'air finales ?
Là encore, il n'existe pas de directive à l'échelle de la Suisse.
L'Office fédéral allemand de l'environnement donne pour la somme du naphtalène et des composés de type naphtalène – le plus volatil des composés HAP – une valeur indicative I (valeur de précaution) de 2 µg/m3 et une valeur indicative II (valeur d'intervention) de 20 µg/m3.
Selon la directive de Genève, les locaux sont considérés comme "propres" lorsque les valeurs limites suivantes sont respectées dans l'air :
- benzo(a)pyrène : 1 ng/m3
- naphtalène : 10 µg/m3
- HAP totaux (calculés ici non pas selon l'EPA, mais avec TEF) : 10 ng/m3
Avec ces valeurs, le canton de Genève s'aligne avec les objectifs de l'OMS. Il faut ajouter ici que, selon les mesures de l'EMPA, la pollution de fond en Suisse - notamment due aux chauffages au bois - peut à elle seule atteindre 0,7 ng/m3. L'objectif de 1 ng/m3 après un assainissement est donc un objectif relativement ambitieux.
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